Vienne est une ville de café(s). Il y a bien sûr le café, la boisson, élevée ici au rang d'art et qui se décline sous une multitude de formes : impossible d'oser commander "un café", à Vienne "un café" ça n'existe tout simplement pas. Mais surtout, les cafés, ces lieux si particuliers qui font pour beaucoup le charme de la ville. Une tradition vieille de plus de cent ans qui a perduré, quasiment inchangée, jusqu'à nos jours. Alors que nos sociétés nous poussent à aller toujours plus vite, ces oasis de tranquillité n'ont pas attendu la nouvelle mode du "slow life" pour nous inviter à ralentir le rythme et prendre notre temps. Portrait de la plus attachante des traditions autrichiennes.
Une histoire séculaire
L'histoire des cafés viennois commence à la fin du XVIIIe siècle et on doit l'installation du tout premier non pas à un Autrichien mais à un Arménien. Rapidement, la population se prend d'intérêt pour cette boisson et, deux siècles plus tard, le nombre d'établissements va exploser : ils seront plusieurs centaines disséminés dans toute la ville au tournant du XXe siècle. De lieux de sociabilisation d'une certaine catégorie aisée de la population (majoritairement masculine) où l'on vient pour discuter, fumer, lire le journal ou jouer (au billard par exemple), ils deviennent petit à petit à la fin du XIXe siècle un repère d'une autre population : artistes, écrivains, hommes politiques... C'est à cette époque que le café viennois traditionnel prend la forme qu'on lui connaît désormais avec notamment l'explosion des cafés littéraires.
Les billards du café Sperl.
Leur déclin est amorcé dans les années 1950, après la Seconde Guerre mondiale, et l'arrivée notamment d'autres formes de loisirs (la télévision par exemple). Il en subsiste de nos jours néanmoins des dizaines, partie intégrante et indissociable du paysage viennois actuel, à tel point qu'ils sont inscrits au patrimoine mondial immatériel de l'UNESCO depuis 2011. Désormais, ils font face à la concurrence de la troisième génération de cafés, des établissements beaucoup plus modernes où le café se fait mondial et où l'on déguste Cold Brew, Flat White et autres Latte. À vous de choisir votre camp !
Pousser la porte d'un café...
Alors que les horaires d'ouverture en Autriche font parfois n'importe quoi, les cafés ont ce point commun rassurant : ils ouvrent tôt, très tôt même parfois (vers 7 h) et ferment tard, très tard, au petit matin pour certains, entre 22 h et minuit pour la majorité. Il n'y a donc pas un moment pour aller au café mais bien plusieurs : un petit déjeuner sur le pouce, le traditionnel Wiener Frühstuck, avant d'aller travailler, en lisant le journal du jour ; installé sur une banquette pour la journée, pour les free-lance à la recherche d'un bureau temporaire et chaleureux ; un déjeuner sans chichi et sans excès ; à l'heure du goûter pour se régaler d'une pâtisserie ; pour échapper à une averse ou se reposer après avoir arpenté les pavés ; un apéro avant de filer à l'opéra ou de poursuivre sa soirée ; le dîner, parce qu'on a décidé d'allonger un peu son passage ; un dernier en-cas ou verre avant de rentrer chez soi.
Exemple de journaux à disposition, chacun soigneusement supporté par un porte-journal, ou Zeitungshalter, que l'on peut se procurer dans certains cafés (chez Prückel par exemple). Une idée cadeau originale !
Quelle que soit votre raison donc, vous serez toujours le bienvenu. Enfin... peut-être pas par le garçon de café, Herr Ober, dans son costume austère noir et blanc, qui vous indiquera un peu sèchement une place de libre (n'importe laquelle fera l'affaire tant que le petit chevalet "Reserviert" n'est pas présent) ou prendra votre commande, du bout des lèvres. C'est qu'ici, service ne rime que rarement avec amabilité mais, si votre Melange vous sera servi sans l'ombre d'un sourire, personne ensuite ne viendra vous faire comprendre qu'il est temps de partir... même si cela fait deux heures que vous n'avez rien commandé. Ce côté brut du service est aussi ce qui fait le charme des cafés... Moins, il est vrai, quand cela fait une demi-heure que vous souhaitez payer et que votre serveur a décidé d'user de ses dons d'invisibilité.
Us et coutumes
L'amabilité légendaire des serveurs fait partie des traditions propres aux cafés mais elle n'est pas la seule. Il y a par exemple le verre d'eau (du robinet) qui accompagne immanquablement toute boisson chaude (café ou chocolat, plus rarement thé), une petite cuillère posée en équilibre sur le dessus. Vous pouvez l'utiliser pour diluer votre café à votre goût ou simplement le boire à part. L'eau est payante en Autriche alors savourez ce verre offert gracieusement !
Pour mieux profiter des banquettes confortables, où vous pourrez vous lover durant tout un après-midi sans crainte d'être dérangé, débarrassez-vous donc de votre veste sur l'un des nombreux porte-manteau à disposition : une habitude dont vous ne pourrez rapidement plus vous passer et qui vous les fera chercher même de retour en France !
Le fameux verre d'eau !
À Vienne, sans surprise, les cafés riment avec musique. Certains offrent régulièrement des interludes musicaux pour accompagner votre venue, principalement du piano les après-midi ou en soirée, mais chez d'autres vous aurez le droit à un duo piano/violon (au Café Schwarzenberg notamment). Mais au-delà de cette ambiance un peu passée, il faut savoir que beaucoup ont aussi pris un virage à 180° et se sont mis à l'ère moderne, offrant désormais gratuitement du WiFi tandis qu'il ne devrait guère être difficile de trouver des prises pour recharger ses appareils. C'est tout le contraste viennois : un pied dans le passé, un pied dans le futur !
Enfin, quand vous aurez réussi à attirer l'attention de votre serveur et lui demander l'addition, vient la question du pourboire. Il est de tradition de laisser un petit quelque chose, que ce soit au café, au restaurant ou même chez le coiffeur. Certains vous diront que l'usage préconise 10 % de la note. Vous pouvez tout aussi bien arrondir à l'entier supérieur pour les petits montants voire à la dizaine suivante. C'est à vous de voir ! En Autriche, on ne laisse pas de monnaie sur la table en quittant le lieu. On annonce, quand la note vous est présentée, le montant que l'on souhaite payer ou l'on signifie (en accompagnant d'un Danke schön par exemple) que vos pièces et billets n'appellent pas qu'on vous rende la monnaie. Et même en payant par carte bleue, c'est également possible, car certains terminaux de paiement possèdent l'option "Tipp" où vous pourrez rentrer, à votre discrétion, le montant que vous désirez.
Le café, quand on y réfléchit, c'est un peu comme un deuxième chez soi, mais en public. Un lieu où l'on vient pour retrouver du monde, amis ou collègues, dans une ambiance intimiste, ou au contraire où l'on choisit de profiter de sa solitude... mais bien entouré.
Le café, cette boisson aux mille et un noms
Melange, Brauner... On peut vite être perdu lorsque l'on tombe sur la page dédiée au café devant la liste longue comme le bras des spécialités proposées. Et d'autant plus si vous n'êtes pas dans un lieu touristique avec une explication en anglais ajoutée à côté ou en dessous, en petit. Pour vous aider, voici un lexique des différentes sortes de café que vous allez pouvoir croiser :
Brauner : expresso servi avec du lait à part
Einspänner : café servi avec de la crème chantilly, dans un verre (l'ancien café préféré des conducteurs de fiacres !)
Franziskaner : 1/3 de café, 1/3 de lait et 1/3 de crème
Melange : le café traditionnel viennois, un expresso au lait
Mocca, parfois Mokka (ou Schwarzer) : expresso
Verlängerter : café allongé
Certains cafés sont servis avec de l'alcool, c'est le cas de :
Fiaker : café avec du rhum, parfois de la crème au-dessus
Maria-Theresia : café avec de la liqueur d'orange
Mozart : expresso surmonté de crème chantilly et servi avec du brandy à part ; parfois servi avec de la liqueur Mozart
Certains cafés se déclinent en version klein ou gross (petit ou grand).
Chaque café possède ensuite ses propres spécialités et parfois ses propres variations autour d'une spécialité connue : bref, à vous de voir si vous vous sentez l'âme aventureuse ou vous contentez des classiques ! Et si le café vous laisse de marbre, sachez que vous aurez quand même l'embarras du choix : thé, chocolat, sodas divers, alcools divers, vins... Attendez-vous à devoir feuilleter des pages et des pages !
Une page pleine de spécialités de café : la norme dans les cafés viennois.
À chacun son café
Raffiné, enfumé, tranquille, spectaculaire... chaque café possède sa propre ambiance, sa propre liste de spécialités... et ses raisons qu'on fait qu'on s'y attache. Il y a beau y avoir des dizaines de cafés dans la capitale, certainement un seul est fait pour vous. Et après l'avoir trouvé, vous n'aurez plus envie d'aller voir ailleurs ! Voici pour ma part la liste de mes dix cafés préférés, où je me pose au gré de la saison ou de mon humeur.
Café Central - le fastueux
Café Diglas im Schottenstift - le tranquille
Café Eiles - le moderne
Café Frauenhuber - le méconnu
Café Gerstner - le bling-bling
Café Jelinek - le populaire
Café Prückel - mon préféré !
Depuis mon tout premier séjour à Vienne, j'ai un attachement particulier au café Prückel. Cela s'explique en partie par son Apfelstrudel absolument délicieux avec son bon goût de cannelle (pour moi le meilleur de Vienne !) mais surtout à son ambiance : ici on est resté dans les années 1950, avec grands lustres et fauteuils de velours au design si particulier. C'est mon point de chute évident, le café vers lequel je me tourne quand j'ai envie d'une ambiance cosy. Le seul point noir à mon goût est le paiement par espèce obligatoire. WiFi gratuit.
1. Stubenring 24 (U3 Stubentor)
Café Ritter Ottakring - l'excentré
Café Schwarzenberg - le couche-tard
Café Sperl - le traditionnel
On termine par LE café traditionnel par excellence, avec chaises en bois, tables en marbre et banquettes en velours légèrement patiné. N'oubliez pas de lever les yeux au plafond pour apprécier les moulures ! Il a réussi à préserver son intérieur quasiment intact depuis sa création en 1880, ce qui lui donne un charme incomparable. Une véritable institution et une valeur sûre si vous cherchez un café traditionnel modérément touristique.
6. Gumpendorfer Str. 11 (U2 Museumsquartier)
Café Central - le fastueux
Parmi les cafés les plus touristiques de Vienne, le Café Central a ma préférence : rien que le cadre vaut le détour ! Situé dans l'élégant palais Ferstel (ne manquez pas le passage couvert à deux pas, voyage dans le temps garanti), il faudra quand même s'armer de patience pour s'y installer. Un conseil : réservez votre table ou venez à l'ouverture ou à la fermeture pour espérer ne pas faire la queue ! Depuis que j'ai fréquenté bon nombre d'autres cafés, il n'a plus ma préférence, que ce soit question pâtisserie ou boisson. Mais le cadre reste inégalable. Ça vaut au moins le coup de jeter un œil à l'intérieur si vous passez devant !
1. Herrengasse 14 (U3 Herrengasse)
Café Diglas im Schottenstift - le tranquille
L'été, si je veux profiter d'une terrasse au calme en plein cœur du premier arrondissement, c'est ici que je viens : le café Diglas à côté de Schottenstift est un petit havre de paix qui ferait oublier pour quelques heures que l'on se trouve au beau milieu de la capitale autrichienne. J'y troque volontiers mon chocolat viennois pour l'une de leur Limonade maison (qui ressemble d'ailleurs plus à du thé glacé si vous voulez mon avis, une boisson pas du tout gazeuse) et me laisse bercer par le son des cloches. On n'est pas bien là ?
1. Schottengasse 2 (U2 Schottentor)
Café Eiles - le moderne
Ici le personnel est jeune et plus décontracté qu'ailleurs. Situé à deux pas derrière l'hôtel de ville, Eiles est l'endroit parfait si vous voulez l'ambiance des cafés traditionnels sans le côté un peu guindé qui peut parfois paraître too much. Ils ont aussi une sélection de pâtisseries qui changent des classiques (vous ne trouverez pas beaucoup de cafés servant du carrot cake par exemple).
8. Josefstädter Str. 2 (U2 Rathaus)
Café Frauenhuber - le méconnu
Situé juste à côté de la Kärntner Strasse, l'une des rues les plus animées de la ville, le Café Frauenhuber est une petite bulle de calme au milieu de toute cette agitation. Quelques pas suffisent pour changer radicalement d'ambiance ! Ce café fait partie des plus vieux de la ville (il fut ouvert en 1845) et son histoire prestigieuse est reliée à Mozart, Beethoven ou encore l'impératrice Marie-Thérèse. L'intérieur est typique des cafés traditionnels, la particularité ici étant les superbes verres Tiffany encore présents.
1. Himmelpfortgasse 6 (U1, U2, U4 Karlsplatz)
Café Gerstner - le bling-bling
Quand je veux en mettre plein la vue, ou me prendre pour le gratin autrichien, c'est ici que je viens : certains pourront trouver ça too much mais j'adore l'ambiance bling-bling du Café Gerstner, avec sa moquette, ses dorures, ses imposants lustres et son ambiance raffinée. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, les prix ne sont pas extravagants vu le cadre, ce qui en fait un point de chute pas du tout coupable.
1. Kärntner Str. 51 (U1, U2, U4 Karlsplatz)
Café Jelinek - le populaire
Ici les banquettes sont aussi en velours et le serveur en costume noir et blanc mais l'ambiance est incontestablement plus populaire qu'ailleurs. Situé en contrebas de la Mariahilferstrasse, il attire une clientèle de locaux, ce qui ne trompe pas ! Les prix sont très raisonnables, les pâtisseries pourraient sortir tout droit de votre cuisine et les nombreuses prises et le WiFi disponibles (demandez le mot de passe au serveur !) en font un lieu idéal où travailler ou étudier.
6. Otto-Bauer-Gasse 5 (U3 Zieglergasse, U4 Pilgramgasse)
Café Prückel - mon préféré !
1. Stubenring 24 (U3 Stubentor)
Café Ritter Ottakring - l'excentré
C'est ma dernière découverte en date. Il est très éloigné du centre-ville, non loin de la brasserie Ottakring dans l'arrondissement du même nom, mais si vous logez dans le coin ou si vous allez visiter la brasserie, voilà une adresse à ne pas manquer ! La première salle peut paraître un peu étriquée mais ne faites pas comme moi et osez vous rendre dans la seconde salle, vraiment immense, et à l'ambiance complètement différente avec ses colonnes de (faux ?) marbre et ses boiseries au mur. Ouvert en 1907, le café avait fermé à l'été 2016 mais a eu le droit à une nouvelle vie depuis fin 2016 et son rachat : c'est qu'à Vienne, on ne plaisante pas avec la fermeture des cafés traditionnels qui sont toujours vécu comme des drames et qu'on essaye d'éviter à tout prix. WiFi gratuit.
16. Ottakringer Str. 117 (tram 44 Familienplatz)
Café Schwarzenberg - le couche-tard
Parmi les cafés du premier arrondissement, c'est l'un de ceux qui ferment le plus tard, à minuit. Un bon plan pour les couche-tard ! Son intérieur et un peu sombre, tout en bois foncé, mais cela participe aussi à l'ambiance des cafés traditionnels. L'été, on s'échappe de son atmosphère parfois un peu pesante en rejoignant sa terrasse donnant directement sur le Ring. Leur Apfelstrudel est absolument délicieux et, aux heures d'affluence (la salle n'est pas très grande) c'est l'un des rares, si ce n'est le seul, cafés traditionnels où il m'est arrivé de partager ma table. Soyez prévenus !
1. Kärntner Ring 17 (tram 2, D Schwarzenbergplatz)
Café Sperl - le traditionnel
6. Gumpendorfer Str. 11 (U2 Museumsquartier)
Et si vous préférez les cafés plus modernes, voici une liste de huit que je vous recommande à Vienne.
Vous avez aimé ? Épinglez-moi !
Dans la déco on retrouve quelque chose de Venise et de ses cafés historiques, après qui a influencé qui je ne saurai dire
RépondreSupprimerLes cafés à Venise, et globalement en Italie, sont un peu plus anciens, non ? Après, je ne suis pas spécialiste, mais j'aurais tendance à dire que c'est l'époque qui veut ça ! Au XIXe siècle les tendances artistiques étaient assez similaires dans toute l'Europe, ça ne m'étonne pas qu'il y ait des ressemblances d'un pays à l'autre. Ce qui n'a guère changé de nos jours !
SupprimerPeut-être également parce que Venise fût cédée à l'Autriche pendant un moment : http://www.venise-voyage.org/declin-venise-19e-20e-siecle.html
RépondreSupprimerJe n'étais pas au courant de cet épisode, merci pour le cours d'histoire ! Par contre il me semble que les cafés italiens sont un peu plus anciens (par exemple le Café Florian a été fondé avant que Venise ne devienne brièvement autrichienne si je ne dis pas de bêtise). Mais j'aime beaucoup l'idée d'une influence mutuelle, je m'étais faite la même réflexion à Trieste (mais qui, elle, a fait partie de l'empire sur une période bien plus longue).
Supprimer